mardi 24 juillet 2007

Die grosse Stille


Le grand silence

Je vous recommande, si vous ne l'avez pas encore vu, le magnifique film du réalisateur allemand Philippe Gröning, sorti l'hiver dernier sous le titre original Die grosse Stille, "Le grand silence" dans sa version française. Un DVD est aujourd'hui disponible dans le commerce.
Le silence ne se limite pas au titre du film mais est présent tout au long du film qui nous fait entrer de plain-pied dans la vie cartusienne. Tourné pendant 6 mois au monastère de la Grande Chartreuse dans les Alpes dauphinoises, il est constitué d'une succession de séquences, nous montrant la vie recluse d'un père ou d'un frère chartreux. Images simples. La vie du chartreux est avant tout une vie cachée et humble totalement consacrée à Dieu. Le film ne nous révèle rien d'extraordinaire: Un frère âgé préparant le repas à la cuisine, un autre pelletant dans la neige les carrés de jardin potager en vue des semis de printemps auxquels il faudra penser dès la fonte des neiges. Un père, dans son cellier, sciant les bûches qui alimenteront un vétuste poêle qui chauffe(?) le cubiculum (pièce principale de l'ermitage dans lequel vit le moine). La séance de rasure mensuelle (les cheveux sont entièrement rasés), soins à l'infirmerie etc. Mais aussi de très belles séquences sur le grand office de la nuit, certaiement un des temps forts qui rythment la vie du Chartreux. La louange monte dans la nuit sur une mélodie dépouillée, propre à l'ordre cartusien. On sent qu'elle s'élève au-delà des montagne de Chartreuse dans la nuit étoilée vers le Père Créateur. L'Unique Nécessaire, comme l'appelait Saint Bruno, fondateur de l'ordre en 1084.


Tourné au rythme de la vie des chartreux, le film est donc, inévitablement, un temps de silence que seuls viennent perturber le bruit de la pluie qui tombe sur les feuillages environnants, le goutte à goutte régulier de la neige qui fond en fines perles d'eau tombant sur le dallage de pierre et bien entendu le tintement régulier, paisible, de la cloche qui sonne les heures, qui invite à la récitation de l'Angélus, cette si belle prière de la Chrétienté, et qui appelle les pères à l'église conventuelle. Ceux-ci se retrouvent trois fois par jour pour prier: pour la messe conventuelle, à l'office de Vêpres et pour l'office de la nuit où sont chantées Matines et Laudes.



L'église conventuelle de la Grande Chartreuse

Pas de fond musical, pas d'interview avec toujours les mêmes questions aussi stupides que déplacées chaque fois qu'on questionne un moine et une moniale (Comment vivez-vous la chasteté?), pas de bavardages inutiles sauf à la fin quelques mots d'un vieux père chartreux aveugle. La cécité corporelle n'induit pas la cécité de l'âme. Bien au contraire! Cette coupure dans l'ordre du sensible a certainement contribué à unir plus encore ce moine à Dieu, ce qui explique le sens de ses propos si surprenants dans le monde de jouissance de l'occident: " Si je suis aveugle aujourd'hui c'est parce que Dieu l'a permis pour un plus grand bien pour moi ". Nul doute que dans et par cette atteinte corporelle, qui est une lourde croix à porter, le père a trouvé la grâce d'une communion plus forte, lui qui avait déjà pourtant tout donné pour suivre le Christ.


Messe cartusienne. Les bras en croix pendant le canon de la messe est une pratique propre au rite lyonnais.


On ne regarde pas ce film comme un vulgaire James Bond où un film primé au festival de Cannes. Les acteurs ne sont pas de stars du septième art; pas de Depardieu, de Sophie Marceau, de Tom Cruise. Simplement une quarantaine d'hommes qui ont tout laissé pour la plus grande gloire de Dieu et le salut du monde. Ce film doit être un temps de prière et de méditation sur nos attachements, nos affections souvent désordonnées, nos petites misères qui nous paraissent insupportables et le peu de temps que nous consacrons quotidiennement à Dieu.

Merci, Mes Pères, d'avoir permis ce film, vous qui vivez cachés du monde pour être plus présents à Dieu. Dans votre silence vous nous indiquez la vraie voie. Oh certes, il ne s'agit pas pour chacun de nous de nous transformer en anachorètes du jour au lendemain mais plutôt de nous imprégner de votre spiritualité afin qu'elle accompagne nos actes, nos paroles et nos pensée tout au long des jours ad majorem Gloriam Dei.


Merci, Mes Pères, de nous avoir montré que la Vérité s'affranchit du temps. C'est d'ailleurs une sensation très forte que le spectateur ressent en visionnant le film: le temps n'a plus la même valeur que dans le monde. Time is money dit l'adage anglo-saxon. Le rythme du monastère nous révèle, si besoin en était, une dimension antinomique à cette devise, à savoir que l'argent n'est sûrement pas la préoccupation première des Chartreux. Le temps n'a pas de prise sur le moine. Ce qui frappe avant tout, c'est la lenteur du mouvement qui accompagne les gestes du moine, jusqu' à en imprégner le rythme dans sa propre voix.
Il semble que le temps s'est arrêté une fois que l'on a franchi le grand portail du monastère. Le Chartreux en revêtant l'habit monastique a renoncé définitivement à courir après le temps. D'ailleurs, après quoi pourrait-il bien courir dès lors qu'il se pénétre au fil des années de l'éternité de Dieu comme d'un éternel présent ?
Certes, le moine est prisonnier du temps dans sa corporéité. Il vieillit et meurt. Mais de jeunes moines ont déjà pris la suite dans la louange perpétuelle assurant ainsi la relève des générations jusqu'à la fin des temps.
C'est pourquoi, je suis convaincu qu' à quelques détails près, la vie du père d'aujourd'hui est identique à celle qu'ont connue Don Innocent Le Masson (+ 1703) ou Guigues Ier (+ 1136), pour ne citer que deux prieurs parmi les plus connus.
Deux adages, d'ailleurs, traduisent à merveille l'esprit cartusien:

- Nunquam reformata quia nunquam deformata
Jamais réformée car jamais déformée.


- Stat Crux dum volvitur orbis



Devise que l'on peut traduire ainsi: La Croix demeure tandis que le monde tourne même si le français rend imparfaitement compte du sens contenu dans la devise latine. Stare possède en latin une signification plus forte, plus dense (i.e Stabat Mater) que sa traduction vernaculaire. Nos ancêtres avaient bien mesuré la richesse du latin en utilisant cette langue dans les devises qui accompagnaient les blasons familiaux. Nous sommes toujours très embarassés pour en restituer pleinement le sens précis en français.

Le premier nous indique que les Chartreux n'ont jamais, à la différence d'autres ordres, éprouvé la nécessité de réformer leurs statuts car jamais ils n'ont perdu l'esprit de leur règle monastique fixée dès 1121 par Guigues Ier , le prieur de l'époque, dans les célèbres Coutumes (Consuetudines).


Le second n'est ni plus ni moins que la devise cartusienne. Le film restitue bien la devise dans sa lettre comme dans son esprit.


Site de la Grande Chartreuse

http://membres.lycos.fr/grandechartreuse/chartreuse_menu_monastere.html

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