Interrogez les Français et vous constaterez que beaucoup sont persuadés que leur vote est déterminant dans la vie politique (le taux de participation aux dernières présidentielles le prouve). Au risque d'en décevoir certains, il me semble utile de rappeler quelques réalités. Tout d'abord, il faut savoir que la démocratie entretient des mythes qui ont la vie dure. Ils sont nombreux mais pour aller à l'essentiel, pour ma part, j'en retiendrai trois :
- Le pouvoir du peuple
- La séparation des pouvoirs
- La volonté générale
Le pouvoir du peuple ou la grande illusion
Pouvoir du peuple, c'est ce que signifie étymologiquement le terme de démocratie. Or, il n'existe que des idiots utiles pour s'imaginer un seul instant que le petit morceau de papier qu'ils introduisent dans l'urne lors de chaque consultation électorale résume la parcelle de pouvoir qu'ils détiennent d'eux-mêmes puisque nos brillants révolutionnaires nous ont appris que la démocratie est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple et donc que tout pouvoir vient de chacun de nous. Derrière ce slogan ronflant se cache en fait une toute autre réalité!
Certes, les résultats d'une élection peuvent laisser penser que le citoyen de base peut agir directement sur la vie politique. Ainsi, nous avons élu Nicolas Sarkozy et non pas Ségolène Royal, ce qui tend à prouver que l'addition de chacune de nos voix produit l'effet voulu par la majorité des électeurs. Cela nous semble d'autant plus vrai que nous avions au départ une pléthore de candidats et que rien ne nous interdisait de voter pour l'un plutôt que l'autre. Si donc nous avons voté en toute liberté c'est bien parce que nous sommes souverains et que notre pouvoir s'exprime par le choix des urnes.
Oui, mais encore faut-il s'interroger sur la portée de l'effet produit par le choix exprimé par le corps électoral. Deux exemples particulièrement éloquents nous montrent que notre prétendu pouvoir n'est que leurre: la campagne présidentielle de 2002 et le référendum sur la constitution de l'Europe.
Aux présidentielles de 2002, le président sortant obtient au premier tour 19% des suffrages. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le résultat est peu flatteur pour celui qui briguait la charge suprême pour la seconde fois. Pour un peu, le second arrivé, en l'occurrence J.M Le Pen, lui soufflait la première place. C'est dire tout le crédit que les électeurs portaient à Jacques Chirac et le peu d'enthousiasme qu'ils manifestaient à lui confier un second mandat. Il n'en demeure pas moins que 15 jours plus tard, le même Jacques Chirac était réélu avec 82 % des voix, un score digne des pays communistes du temps du rideau de fer et de la mainmise de l'URSS sur l'Europe de l'est.
Que faut-il en conclure? Que le peuple souverain a tranché? Oui, mais en apparence seulement. Si Jospin s'était qualifié pour le second tour, il est bien évident que Chirac n'aurait jamais obtenu une telle majorité. On peut même supposer que Jospin aurait été élu. Ce second tour est la preuve par l'absurde de l'absence totale de signification du résultat de ce vote car jamais Chirac n'a incarné le choix de 82 % des électeurs, aucun homme politique n'ayant atteint un tel score, pas même le général De Gaulle.
Que s'est-il passé en fait? On a parlé de sursaut démocratique, d'élan républicain etc...etc. En réalité notre système démocratique fonctionne en trompe-l'oeil. Quand les candidats appartiennent au système dans lequel les qualificatifs de gauche ou de droite n'ont de sens que pour ceux qui veulent bien leur en donner un et ne constituent en fait que des labels pour amuser le peuple, on laisse les électeurs décider car quel que soit le résultat les véritables détenteurs du pouvoir savent que rien ne changera en profondeur. En 1981, l'élection de Mitterand a donné l'illusion d'un grand changement dans la politique. Il n'en fut rien. Celui qui avait condamné sans cesse le régime du général De Gaulle, le qualifiant de "coup d'état permanent", n'eut aucun état d'âme en entrant à l'Elysée en chaussant les bottes de son illustre prédécesseur.
Nous observons donc que le corps électoral peut choisr tant que son choix reste conforme aux grandes orientations déterminées par la nomenclatura. Or en 2002, il en était tout autrement. La politique que le Front National, s'il était parvenu au pouvoir, entendait mettre en oeuvre aurait constitué une rupture radicale avec celle menée jusqu'alors aussi bien par la droite que par la gauche. Il était donc urgent de siffler la fin de la récréation et de rappeler aux Français leurs obligations et vers qui devait se porter leur préférence. Et le peuple "souverain" de renvoyer Le Pen méditer sur la versatilité du corps électoral. Ceci nous valut un entre deux tours mémorable, fait de bourrage de crâne afin d'orienter le vote des électeurs.
De même, la rupture préconisée par le candidat Sarkozy relève du langage de campagne électorale. Il est bien évident qu'avec le même parti, les mêmes responsables politiques et qu'en étant lui-même issu de la majorité présidentielle de son prédécesseur, Nicolas Sarkozy peut difficilement nous faire croire à un changement radical de politique. Certes, il y a eu depuis son élection des changements. Mais un changement de style ne signifie pas pour autant un changement de politique. Pour employer un jargon technocratique, je dirai que si on change les hommes sans changer le référentiel, il ne faut guère s'attendre à des bouleversements. Ainsi, la droite à laquelle on attribue, à tort, les vertus d'ordre, de gardienne des valeurs morales a été à l'origine de lois que la gauche n'aurait pas dédaigné instaurer elle-même comme la loi Neuwirth sur la contraception, la loi Veil pour la dépénalisation de l'avortement, la loi Perben réprimant les propos homophobes et bien d'autres textes législatifs. Quand elle ne renforce pas des mesures prises initialement par la gauche, la droite fait mieux encore en anticipant la politique de gauche par des lois qui sont intrinséquement des lois de gauche.
Aujourd'hui, nous mesurons d'autant plus aisément le large consensus entre gauche et droite que nous voyons des hommes de gauche rejoindre la nouvelle majorité présidentielle sans que cela leur crée un cas de conscience. Si les dirigeants socialistes réagissent c'est bien plus parce qu'en procédant de la sorte Sarkozy les prive de leur fond de commerce au risque de leur faire perdre leur raison d'être, ce qui est, bien évidemement insupportable pour un François Hollande qui se retrouverait bien vite sans troupes et sans emploi.
Le second exemple nous est donné avec l'Europe. Les Français et les Néerlandais ont signifié à leurs pouvoirs politiques respectifs qu'ils ne voulaient plus de l'Europe technocratique et financière. La constitution a été rejetée par la majorité des Français. Aussitôt, les politiciens ont parlé d'une Europe en panne, ce qui est un mensonge flagrant. En effet, l'Europe a continué à fonctionner comme si de rien n'était. Cela ne l'a pas empêchée d'élargir l'union avec les deux petits derniers, la Bulgarie et la Roumanie. Elle a continué à produire ses textes technocratiques sur l'agriculture, la pêche entre autres. Elle a continué à infliger des sanctions financières quand certains états membres se mettaient en infraction par rapport à sa réglementation (cf la pollution des eaux en Bretagne par l'agriculture et l'élevage des porcs). Bref, tout a continué comme par le passé au mépris du vote des Français. L'arrivée du nouveau président de la république est maintenant l'occasion de faire rentrer l'Europe discrètement par la fenêtre, grâce au traité minimum tandis que les Français sont persuadés de l'avoir sortie par la porte et comme chat échaudé craint l'eau, on se gardera bien de demander l'avis du bas peuple. La consultation du Parlement suffira. C'est beaucoup plus sûr. Ainsi, l'Europe continuera sa marche destructrice des nations. Chaque fois qu'un pays européen a tenté de mettre un frein à l'Europe financière et apatride, les dirigeants politiques ont oeuvré pour qu'au bout du compte on parvienne au résultat recherché, quitte à faire voter les électeurs jusqu'à ce qu'on obtienne d'eux le blanc-seing nécessaire, comme ce fut le cas au Danemark.
Les deux cas que je viens d'évoquer, présidentielles de 2002 et référendum sur la constitution européenne, montrent de manière éloquente que notre vote joue de façon marginale. Rien ne saurait infléchir les grandes orientations quel qu'en soit le domaine. En réalité, les politiciens jouent un jeu de façade devant le corps électoral avec la complicité des médias, complicité si étroite qu'elle rejaillit dans leur vie privée par des idylles plus ou moins avouables entre de nombreux hommes politiques et des journalistes (DSK, Borloo, Baroin, Hollande etc). Le microcosme parisien est complexe et peu transparent en réalité. Il existe à Paris des clubs fermés qui permettent aux politiciens de se retrouver, tous bords confondus, dans des dîners mondains. Et je ne parle pas des diverses obédiences franc-maçonniques dans lesquelles se discutent et se préparent les grands projets de notre société.
Alors, nous pouvons continuer à rêver et aller voter, persuadés que nous sommes que demain sera un jour meilleur parce que le peuple souverain l'aura décidé!
Je vous entretiendrai une autre fois de la séparation des pouvoirs et de la volonté générale. En attendant dormez paisiblement avec vos illusions, bonnes gens, la France pendant ce temps continue la route qu'on lui a tracée.
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