Dans ce domaine, les médias portent une responsabilité considérable. Depuis une cinquantaine d'années au moins, leur action a contribué à maltraiter systématiquement la langue française.
Le snobisme d'une pseudo élite intellectuelle française, très parisienne, nous a fait adopter deux manies :
-- le "vocarabia"
-- l'américanisme,
Le vocarabia ou le manque de courage intellectuel
Ainsi, aujourd'hui nous ne voulons plus dire les choses telles qu'elles sont. Petit à petit, nous avons remplacé aveugle par malvoyants, sourd par malentendant, femme de ménage par technicien de surface, gitans par gens du voyage, immigrés par minorités visibles etc.
Au milieu des années 70, alors qu'il était de notoriété publique que le chômage augmentait de façon inquiétante, les pouvoirs publics se répandaient en propos lénifiants afin de rassurer l'opinion publique. Mais arriva un jour ou, rattrapé par la réalité, il fallut bien que le gouvernement reconnût cet accroissement grave du chômage. Les journaux firent alors état d'une certaine érosion du plein-emploi, reprenant les mots mêmes du porte-parole du gouvernement. On utilisait ainsi une circonlocution pour éviter de reconnaître clairement l'existence d'une situation économique particulièrement préoccupante. Cela aurait été mauvais pour la majorité gouvernementale de l'époque.
Aujourd'hui, lorsqu'une personne est gravement blessée et que sa vie se trouve en danger, les médias nous indiquent que le pronostic vital est engagé. Cette formulation est emblématique du manque de courage intellectuel qui nous caractérise désormais. En même temps, elle nous montre notre incapacité à formuler clairement notre pensée. Attardons-nous quelques instants sur cette expression très fréquemment utilisée.
Le pronostic vital est engagé : une telle expression qui signifie dans le langage courant qu'une personne est en danger de mort, ne peut qu'émaner d'esprits tortueux. Voyons tout d'abord le terme de pronostic : il signifie dans le cas présent diagnostic, il veut dire également prévision estimation ou jugement. Le pronostic peut donc être optimiste ou pessimiste. Il peut même être très pessimiste, gravement pessimiste. Dans le cas qui nous occupe pour l'instant, lorsque nous parlons de pronostic vital engagé, nous avons un diagnostic pessimiste.
Le second terme est l'adjectif vital. Le dictionnaire ne donne comme sens premier "essentiel à la vie d'un individu ou d'une collectivité". Ainsi, le coeur possède une fonction vitale pour l'être humain. Chacun comprend ici aisément le sens du terme vital. Une fonction est donc vitale dès lors qu'elle contribue à maintenir la vie. De même, nous avons coutume d'évoquer souvent l'idée de problème vital ou de question vitale. Nous disons ainsi que le traitement de la pollution de la nappe phréatique par les nitrates et autres pesticides est une question vitale pour l'environnement. Ici encore nous comprenons le sens du terme vital. Dans cet exemple, la question est qualifiée de vitale parce que de la réponse qui y sera apportée dépend la qualité future de l'environnement, donc d'une certaine manière de la survie du monde animal et végétal. Il existe ici un lien de causalité entre la question (ou le traitement qui y est apporté) posée et la qualité de l'environnement. Si le problème n'est pas traité, notre environnement et, par voie de conséquence, notre vie seront menacés.
Revenons maintenant au pronostic vital que nous évoquions à l'instant. Compte tenu de ce que nous venons de dire, parler de pronostic vital signifie que le diagnostic qui est donné sera déterminant pour la survie du blessé ou du malade. Une telle interprétation est à l'évidence totalement stupide. Le pronostic n'a aucun lien de causalité avec l'évolution de la maladie ou de la blessure. Ici, le pronostic est un simple constat. En revanche une décision médicale peut être vitale dans ses conséquences. Si un médecin décide de débrancher les appareils d'assistance respiratoire, il condamne à mort le malade artificiellement assisté. Une telle décision peut être qualifiée de vitale puisqu'elle entraîne la mort du patient. Lorsque le corps médical fait état d'un pronostic, il relate une situation de fait. Le pronostic n'a donc aucun effet quant à l'évolution de l'état de santé du malade. Dès lors ce pronostic n'a rien de vital. Comme nous l'avons dit plus haut, il peut être pessimiste, particulièrement pessimistes dans les cas les plus graves mais en aucun cas vital.
Le dernier terme de l'expression que nous abordons maintenant est le verbe engagé. Ce verbe possède plusieurs sens. Le sens premier est celui de mettre en gage ou de mettre en jeu : le gouvernement par exemple engage sa responsabilité devant le Parlement. Il peut vouloir signifier également introduire ou mettre. Par exemple : il engagea la clé dans la serrure. On dira également qu'une personne s'engage dans une rue. Engager peut également signifier lier : dans l'armée, on parle de contrats d'engagement. Il existe d'autres sens. Je vous renvoie pour cela un bon dictionnaire.
Dans le cas qui nous intéresse, parmi les sens possibles du verbe engager, celui qui nous paraît le mieux approprié est celui de mettre en jeu. Un individu qui joue à la roulette russe met sa vie en jeu. Cela veut dire par conséquent que lorsque nous parlons de pronostic engagé cela signifie que le corps médical met son pronostic en jeu. Or, ce n'est pas le pronostic qui est mis en jeu mais bien la vie du patient.
Nous voyons ainsi apparaître une signification tout à fait aberrante, qui consiste à dire que du pronostic que fait le médecin dépend la vie ou la mort du patient, lequel pronostic est, au demeurant, mis en jeu ce qui pourrait vouloir dire fait l'objet d'un pari. Cet exemple nous montre qu'à vouloir cacher la réalité, ou du moins ne pas la dire en termes trop brutaux, on finit par formuler des expressions absurdes, vides de toute signification réelle en bon français.
L'américanisation
Notre société subit, et, cela ne date pas d'aujourd'hui, une fascination quasi névrotique pour tout ce qui est américain, pour "l'american way of life". Je n'ai rien contre les Etats-Unis mais je m'oppose fermement à ce qu'ils produisent de pire. Or, le drame tient à ce que nous allons servilement chercher chez nos amis d'outre-atlantique ce que beaucoup d'Américains rejettent eux-mêmes. Il ne s'agit pas de faire de l'anti-américanisme primaire. Je sais que c'est devenu un réflexe chez beaucoup de Français lesquels, n'étant jamais à une contradiction près, ne sont pas pour autant troublés en portant jeans, casquette US, en fréquentant les Mac Do et autres chaînes de restauration du même tonneau et se vautrant devant leur récepteur de télévision pour suivre je ne sais quel série américaine au scénario (quand il y en un!) profondément débilitant.
Naguère encore, la tradition française voulait qu'on s'adressât aux gens en leur donnant du Monsieur ou Madame. Pour faire plus décontracté les organisateurs de jeux télévisuels ont introduit l'usage du prénom. Cela fait tellement plus intime! C'est un usage qui nous vient des Etats-Unis où l'emploi du prénom est pratiquement de règle dans les rapports entre les personnes. L'emploi du terme Sir relève d'un vocabulaire plus formaliste. Ainsi, Sir est le traitement réservé aux officiers de l'armée américaine, là où le français utilise les appellations de Mon Capitaine, Mon Colonel ou Mon Général.
Donc, comme nous sommes fascinés par ce qui nous vient des Etats Unis, nous importons leur vocabulaire, grâce, notamment à la complicité militante des journalistes. Mais hélas il n'y a pas qu'eux! Je me souviens avoir participé à titre professionnel, au début des années 90, à une réunion de haut niveau au siège de la SNCF. Il s'agissait d'une réunion de calage budgétaire entre le ministère de la défense et le transporteur ferroviaire. Le pilotage de cette séance de travail était assuré par un haut cadre de la SNCF, directeur de service, homme à la mise soignée et manifestement bien à sa place dans ce poste important. A la fin de la réunion, les participants décidèrent d'une seconde réunion indispensable pour arrêter les mesures définitives. Et comme nous cherchions en vain à trouver les uns et les autres une date commune qui puisse convenir à tous, notre haut représentant de la SNCF nous indiqua qu'il fallait impérativement nous fixer une "deadline", ce qui signifie en bon français une date limite ou une date butoir, au choix !
L'intrusion de termes anglo-saxons a pris une démesure stupéfiante en même temps que le vocabulaire s'est singulièrement relâché à la télévision comme à la radio. Il suffit d'écouter les vieux enregistrements sonores datant du milieu du XXème siècle pour mesurer à quel point la vulgarité a progressé. D'un ton recherché et même parfois grandiloquent et pompier, nous sommes passés à un style qui est plus celui du comptoir de bistrot ou des salles de garde que du salon littéraire. Les Précieuses de Molière doivent en frémir dans leur tombeau!
Les médias parlent de coach et non plus d'entraîneur, de crash pour catastrophe aérienne, de people pour célébrités, de loser pour perdant, de fast food pour restauration rapide, de one man show, de marketing, de brain storming, de jogging etc. Je pourrais continuer la liste indéfiniment.
Il est très curieux, parfois, de noter l'emploi du franglais dans des domaines spécifiques, là où les spécialistes du genre utilisent des termes français. Le vocabulaire militaire en est un exemple éloquent. La presse parle de tank tandis que les militaires emploient toujours le mot char. Il en est de même pour battle dress au lieu de tenue de combat ou treillis et de drop zone pour zone de largage. De même, s'agissant de policiers, les reportages parlent d'officier. On entendra parler de l'officier Carpenter pour signifier en fait l'agent de police Carpenter. L'américain utilise l'expression de police officer pour désigner un agent de police ou un fonctionnaire de police pour reprendre l'appellation en usage dans la police nationale. Officier, en français a une tout autre signification, aussi bien dans la police que dans les armées.
Outre le snobisme très parisien, l'usage immodéré de l'anglais traduit une pauvreté intellectuelle et une paresse qui permettent de faire l'économie d'un effort de recherche pour trouver l'équivalent français. Il est vrai que parfois, nous n'avons pas de correspondant français. Rien n'empêche, cependant, d'en créer. Les Canadiens français très pointilleux sur ce sujet ont créé des mots français afin de bannir les termes américains. Magasinage tient lieu de shopping, mercatique de marketing. Les Québécois savent que la défense du français est vitale pour eux en raison du voisinage envahissant des Etats-Unis. Tout laisser-aller dans ce domaine se traduirait, à plus ou moins brève échéance par la mort du français supplanté par l'anglo-américain. Pour les défenseurs de la belle langue "françoise" je recommande au passage ce site remarquable :
http://www.oqlf.gouv.qc.ca/index.html
Il est celui de l'office québécois de la langue française.
Plus près de nous, les Italiens ont su mieux que nous résister à l'anglais notamment dans le vocabulaire sportif. Le calcio qui est universellement connu remplace le football. Le goal est rnvoyé dans ses buts au profit de portiere, le calcio di rigore vaut un penalty et le calcio d'angolo un corner. Il pallamàno est notre hand-ball, de même que pallacanèstro qui correspond à basket-ball et pallavolo à volley-ball. Une basketteuse devient una cestista (il cestino signifie la corbeille).
La langue italienne est restée relativement préservée par rapport au français
Le constat est en tous points préoccupant. Il est manifeste que parmi ceux dont la tâche est de promouvoir, directement ou indirectement, la langue française en raison de leur place dans la société, beaucoup trahissent cette mission. On me répondra que le rôle d'un journaliste n'est pas se substituer aux enseignants. Peut-être, mais alors il n'est pas non plus de se substituer aux magistrats pour conduire dans les affaires à sensation des enquêtes parallèles, le plus souvent orientées dès le départ, et avec des méthodes qui laissent peu de place à la stricte recherche de la vérité. Par destination, le journaliste est un touche-à-tout. Rien ne l'empêche donc de veiller au maintien et à l'enrichissement, par l'exemple de ses écrits ou de son langage, de la langue française dans sa richesse et sa noblesse. Mais il est vrai que le journaliste est plus prompt à dénoncer ce qui va mal chez les autres, surtout quand l'autre ne pense pas comme lui, qu' à regarder ce qui pèche chez lui. Eternelle parabole de la paille et de la poutre!
Pour défendre la langue française encore faut-il aimer la France mais c'est peut-être demander à notre prétendue élite quelque chose au dessus de ses forces. L'identité corse que je connais bien, puisqu'elle fait partie de mes racines familiales maternelles, laquelle ne doit pas être confondue avec le nationalisme corse derrière lequel se cachent des objectifs souvent peu glorieux, est fièrement revendiquée par les Corses à juste titre. La langue corse ne laisse que peu de place au français, et quand elle le fait, elle corsise le mot d'origine française. Le maire devient u merre ou u merru, le gendarme u ghjendarmu, la gare (ferroviaire) a gara (l'italien emploie stazione tandis que gara signifie compétition). A l'inverse le Corse déborde sur le français quand on va "spuntiner", autrement dit manger un casse-croûte (u spuntinu).
Et puisque nous parlons de la Corse, je voudrais en guise de conclusion vous laisser méditer sur la remarquable maîtrise de la pensée de nos ancêtres, tant sur le fond que sur la forme, à travers une courte lettre de l'empereur Napoléon Ier adressée au préfet du Var.
Monsieur le Préfet,
J'apprends que divers incendies ont éclaté dans les forêts du Département dont je vous ai confié l'administration.
Je vous ordonne de faire fusiller sur le lieu de leur forfait les individus convaincus de les avoir allumés.
Au surplus, s'ils se renouvelaient je veillerai à vous trouver un remplaçant.
Fait à Schoenbrunn le 21 Août 1802
Napoléon Empereur
Lettre de Napoléon Ier au préfet du Var
- j'apprends
- je vous ordonne
- je veillerai
Point n'est besoin d'être préfet pour saisir le sens de cette correspondance, mais gageons que le dit préfet du Var savait parfaitement à quoi s'attendre en cas de récidive.
Que nous sommes loin aujourd'hui ce cette précision de et de cette concision de la pensée!
Je serais curieux de connaître les directives données aujourd'hui aux préfets dans ce domaine comme dans bien d'autres. Elles doivent faire l'objet de notes d'au moins trois pages, que l'on est obligé de lire et relire pour être bien certain de ne pas être passé à côté de l'essentiel, tant nous baignons dans la logorrhée administrative.
Pour avoir exploité personnellement jusqu'en 2004, année où j'ai quitté le service actif, bon nombre d'instructions, de circulaires et autres notes ministérielles, je puis affirmer que les documents pondus par nos brillants énarques ou autres hauts fonctionnaires sont loin d'être des modèles de limpidité.
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