jeudi 16 août 2007

Démocratie:mythes et confusions (II)



En juillet nous avions traité dans une première partie du pouvoir du peuple dans les démocraties ou plus exactement de l'illusion du pouvoir. Et encore, je n'ai point voulu évoquer le pouvoir du peuple dans les républiques démocratiques populaires du bloc de l'est et des pays encore sous obédience communiste. Vous noterez au passage la série de redondances dans l'appellation "république démocratique populaire". Trois mots qui veulent dire à peu près la même chose. Il faut croire que dans ces pays chacun de ces termes ne se suffit pas à lui seul pour rendre compte du caractère "démocratique" des institutions.

Je vous avais présenté les trois volets de mon analyse:


- Le pouvoir du peuple


- La séparation des pouvoirs


- La volonté générale


Nous avions vu que le pouvoir du peuple n'est en fait qu'une joyeuse fable qui n'engage que ceux qui veulent bien y croire.

Aujourd'hui nous abordons le second volet : la séparation des pouvoirs.



Ce grand principe fondateur nous vient de Montesquieu qui le posa comme règle de fonctionnement de toute société évoluée dans son ouvrage De l'esprit des lois. La Révolution reprendra à son compte la règle du partage des pouvoirs qui n'existait pas sous l'Ancien Régime, bien qu'il conviendrait de nuancer une telle affirmation. Retenons pour simplifier que le Roi détenait tous les pouvoirs de Dieu et de Lui seul. Ceci ne signifie pas pour autant qu'il n'existait pas de contre-pouvoirs. Le Parlement de Paris, pour ne citer que lui, ne se gêna pas pour casser le testament de feu Louis XIV à la demande du Régent. Chargé à l'origine de l'enregistrement des actes royaux, le Parlement de Paris en vint progressivement à exercer un véritable contrôle d'opportunité sur les actes pris par le souverain. Certes le roi avait le dernier mot en tenant ce qu'on appelait un Lit de justice, obligeant ainsi les magistrats à enregistrer les textes réglementaires mais le pli avait été pris et le XVIIIème siècle sera marqué par une "cohabitation" conflictuelle entre la monarchie et le Parlement. Louis XV ira même jusqu'à exiler les parlementaires en raison de leur indocilité. Louis XVI, assez mal inspiré, ou assez mal conseillé, les fera revenir à Paris!




La justice en particulier relevait du roi. On distinguait alors la justice retenue (le roi exerçant lui même le pouvoir judiciaire) de la justice dévolue, celle qui était exercée par les différentes juridictions du royaume au nom du roi.

La plénitude des pouvoirs du roi justifie d'ailleurs cette fameuse réplique de Louis XVI à son cousin le duc d'Orléans, futur Philippe-Egalité, qui jugeait illégal l'enregistrement d'un édit royal imposé par le roi : "C'est légal parce que je le veux".
Cette réponse, loin de traduire un caprice royal, était bien dans l'esprit du monarque, une réponse rigoureusement fondée en droit.

Mais avec les Lumières du XVIIème siècle, l'idée avait prévalu qu'il importait de séparer les pouvoirs afin d'éviter les abus. Ce principe fut mis en application par les révolutionnaires dans la constitution de 1791 mais de fait elle ne fut effective que bien plus tard avant de prendre la forme qu'on lui connaît aujourd'hui.

La séparation des pouvoirs de nos jours

On a coutume de distinguer les trois pouvoirs définis par Montesquieu : Le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.



Si en théorie le pouvoir législatif appartient au Parlement (Assemblée nationale et Sénat), de nos jours rares sont les textes de lois nés de l'initiative des députés. En pratique c'est le gouvernement qui a l'initiative des lois et les soumet au vote des assemblées, chambres d'enregistrement bien plus dociles que le Parlement de Paris avant 1789.

L'éphémère IVème république s'était caractérisée par une très grande instabilité politique, les majorités se composant et se défaisant du jour au lendemain au gré des alliances politiques. Pour ne pas retomber dans le régime des partis, on organisa les institutions de la Vème République de manière à dégager des majorités politiques fortes garantes de la stabilité gouvernementale. Le scrutin majoritaire à deux tours privilégie les grands partis. La droite puis la gauche à partir de 1981 bénéficièrent des avantages de ce mode électoral. Il en résulte désormais que la majorité parlementaire est assurée par un seul parti, celui dont est issu le gouvernement, ce qui conduit à concentrer les pouvoirs législatif et exécutif entre les mains d'un seul parti.

Dès lors, il existe une complicité de fait entre la majorité et son gouvernement, la discipline des partis empêchant par ailleurs toute velléité de vote contestataire. C'est à juste titre que l'on a qualifié les députés de godillots aux ordres de l'exécutif et juste bons à voter les lois concoctées par le gouvernement. Il n'y a donc pas de véritable séparation des pouvoirs. Ceci est tellement vrai que lors des dernières législatives le Premier ministre avait posé comme règle la non reconduction dans ses fonctions ministérielles de tout ministre qui ne serait pas réélu. Alain Juppé fit les frais de cette mesure aussi stupide que non réglementaire. Rien en droit n'oblige un ministre à recevoir au préalable l'onction du suffrage universel. Dominique de Villepin ne s'est jamais présenté devant les électeurs. De la même manière, certains ministres, dont Bernard Kouchner, ne se sont pas présentés aux législatives en raison de leur position bâtarde d'homme de gauche dans un gouvernement dit de droite. La règle Fillon qui fonctionnait auparavant de façon plus ou moins tacite ne fait qu'entretenir la confusion dans tous les sens du terme entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif.

Quant au pouvoir judiciaire, il semble indépendant. De fait, il l'est beaucoup moins qu'on le pense même si certaines dispositions réglementaires prises au cours de ces vingt dernières années ont accru l'autonomie des magistrats. Les nominations relèvent du pouvoir exécutif, les parquets sont placés sous l'autorité du ministère de la justice, sans compter les luttes d'influence politique au sein de la magistrature à laquelle on a concédé le droit de se syndiquer. Quand on connaît le fonctionnement des syndicats à la française, on imagine aisément le résultat que cela peut produire.



L'ancien président Valéry Giscard d'Estaing niait, à juste titre, la réalité la division des pouvoirs telle que nous avons l'habitude de la concevoir. Il regroupait les trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) en un seul pouvoir qu'il appelait pouvoir d'Etat, lequel pouvoir d'Etat étant appelé à cohabiter avec d'autres formes de pouvoirs, le pouvoir médiatique et le pouvoir syndical en particulier. Cette vision me paraît plus réaliste que l'approche très théorique de Montesquieu, d'ailleurs jamais véritablement appliquée.

Cette analyse pose, soit dit en passant, la place exacte et la responsabilité des médias et des syndicats dans la vie politique à son plus haut niveau.

Une séparation contre nature

On ne peut que constater l'absence totale d'étanchéité entre les trois formes du pouvoir d'Etat et cela se comprend car il existe une connexion naturelle entre elles. Dans l'armée, on enseigne aux futurs officiers les règles du commandement. Parmi celles-ci la fameuse règle des 3C : Concevoir, Commander, Contrôler. Autrement dit le chef élabore la manoeuvre, la commande et en contrôle la parfaite exécution. Ce n'est donc que dans la plénitude des pouvoirs que le chef peut mener à bien sa mission. Or, à y regarder de plus près, législatif, exécutif et judiciaire ne sont que la transposition dans la sphère politique de la règle des 3C. Les parlementaires conçoivent les lois, le gouvernement les met en application et la justice en sanctionne les transgressions, ce qui est une forme de contrôle.

Là où le bât blesse, c'est que notre système politique a séparé artificiellement ce qui est appelé à être naturellement réuni. Dès lors, on ne peut que constater l'application cahoteuse, voire chaotique, du principe de séparation des pouvoirs. Cette séparation est aussi peu naturelle que les régimes gouvernementaux à autorité multicéphale. Les triumvirats n'ont jamais tenus bien longtemps! César s'appropria bien vite le pouvoir au détriment de Crassus et Pompée. Bien plus tard, le Consulat ( trois consuls) fut la voie idéale ouvrant la route au seul profit de Bonaparte. La polysynodie instaurée par le Régent Philippe d'Orléans ainsi que le Directoire ( à 5 têtes s'il vous plaît!) n'eurent qu'une existence bien éphémère. Si la nature a horreur du vide, il semble qu'elle ait tout autant une profonde aversion pour le trop-plein.

Aucun commentaire: