vendredi 9 novembre 2007

L'affaire Jeanne d'Arc ou la ténébreuse affaire

Vient de sortir un nouvel ouvrage sur Jeanne d'Arc, un de plus dirais-je, intitulé l'Affaire Jeanne d'Arc. Ecrit par Marcel Gay et Roger Senzig, deux fins limiers, le premier étant grand reporter à l'Est Républicain plus spécialement chargé de traiter les affaires judiciaires, le second étant, tenez-vous bien, un ancien membre des services secrets de la France libre pendant la dernière guerre mondiale. Inutile de vous dire qu'avec un tel duo on ne peut s'attendre qu'à des révélations extraordinaires sur la vie de Jeanne d'Arc.

Le titre du livre d'ailleurs suggère l'idée même d'une affaire mystérieuse : l'affaire Jeanne d'Arc, comme on parlerait de l'affaire du courrier de Lyon, de l'affaire Callas ou de l'affaire Sirven ou du mystère du masque de fer sous Louis XIV. Le lecteur déchantera très vite. En guise de révélations, les deux historiens en herbe, qui en matière d'investigation font plus penser aux Dupont et Dupond d'Hergé, nous annoncent que les origines de Jeanne d'Arc ne sont pas celles que l'histoire veut bien nous rapporter. De plus, la Pucelle d'Orléans n'est pas morte sur le bûcher à Rouen. Il y aurait eu au dernier moment une substitution de personnes. En réalité, on retrouve Jeanne d'Arc cinq ans plus tard environ sous le nom de Claude des Armoises.

L'Affaire Jeanne d'Arc où l'art d'écrire pour ne rien dire.

Nihil novi sub sole!



Les auteurs partent de faits surprenants dans la vie de Jeanne, certes. Comment une jeune paysanne provenant des marches de la Lorraine, parlant un français patoisant qui n'avait pas grand-chose de commun avec le français tel qu'il était parlé à la cour de Charles VII a su montrer d'emblée une excellente connaissance du français d'Ile de France? Dès son arrivée à Chinon, Jeanne fait preuve, malgré ses origines humbles, d'une extraordinaire aisance parmi les grands du royaume, les docteurs en théologie etc ? A son procès, elle témoignera d'une grande vivacité d'esprit qui prouve qu'elle est loin de l'image de la bergère inculte, bergère qu'elle ne fut d'ailleurs jamais comme elle le confirma devant ses juges à Rouen.



Jules Bastien-Lepage Jeanne d'Arc à Domrémy - 1879

Metropolitan Museum of Art, New York



Pour nos deux enquêteurs, la réponse est simple : Jeanne d'Arc ne saurait être en aucune façon la fille de Jacques d'Arc et d'Isabelle Romée, paysans lorrains passablement fortunés. Son aisance, sa maîtrise de la langue française trahissent des origines de haute noblesse.

Pour remettre en cause la version historique de la mort de Jeanne d'Arc, nos limiers s'appuient sur un document parfaitement connu des historiens intitulé Chroniques du doyen de saint Thibault de Metz dont un exemplaire est archivé à la Bibliothèque nationale. Il y est dit ceci :

"L'an 1436, sire Philippin Marcoult fut maître échevin de Metz; la même année, le 20 mai 1436 la Pucelle Jeanne qui avait été en France, vint à la Grange aux Ormes, près de Saint Privat et fut amenée là pour parler avec les seigneurs de Metz. Elle se faisait appeler Claude. Le même jour, ses deux frères vinrent la voir en ce lieu. L'un était chevalier et s'appelait messire Pierre, l'autre Petit Jean, écuyer, et ils croyaient qu'elle avait été brûlée. Mais sitôt qu'ils la virent, ils la reconnurent elle les reconnut de même. »

Bien entendu, nos pseudo historiens ne croient pas du tout au caractère divin de la mission de Jeanne. À ce propos ils écrivent ceci :

« Cette dimension surnaturelle qu'elle donne à ses actes pour expliquer ses nombreux succès fait plutôt sourire de nos jours. Car, aujourd'hui, aucune personne sensée n'ose plus croire à l'intervention des esprits sur les événements de la vie publique. Et les plus fervents catholiques ne conçoivent pas que des êtres immatériels, les anges, les saints et les saintes du paradis, se mêlent aussi directement de politique au point de prendre le parti de l'un contre le parti de l'autre. Sauf, peut-être, une poignée d'irréductibles intégristes. »

Ce passage, au demeurant, reflète l'esprit du livre. On affirme de façon péremptoire, gratuitement, sans citer des références précises, ou apporter des preuves. Qu'est-ce qui autorise Senzig et Gay à affirmer que les plus fervents catholiques ne puissent un instant souscrire à l'épopée de Jeanne telle que nous l'enseignent l'Eglise et l'histoire? Et d'en profiter au passage pour faire une allusion perfide aux irréductibles intégristes, seuls capables d'accréditer de telles sornettes. Tant qu'à faire, il faut rester dans le politiquement correct toujours prompt à dénoncer le catholicisme.

Ceux qui pensaient découvrir un scoop, comme on dit si bien aujourd'hui, en seront pour leurs frais. Les thèses développées et par les Rouletabille et James Bond amateurs, ne leur en déplaise, sont loin d'être nouvelles.

Dans le livre qu'elle consacre sur Jeanne d'Arc et paru en 1986, Régine Pernoud, l'éminente médiéviste consacre une grande part de son ouvrage aux différentes controverses concernant les origines et la vie de la Pucelle. Elle évoque l'hypothèse de l'origine bâtarde royale. Jeanne serait pour certains la bâtarde, fruit des amours illégitimes d'Isabeau de Bavière, épouse du roi de France Charles VI, et de son frère Louis d'Orléans. Elle serait donc la demi-soeur par sa mère de Charles VII, le "Gentil Dauphin" qu'elle avait décidé de faire sacrer à Reims. C'est ce que Régine Pernoud appelle la thèse des "bâtardisants" qui reprend en fait les allégations d'un obscur sous-préfet de province qui, dit-elle, certainement pour tromper son ennui du fond de sa sous-préfecture, fit paraître en 1805 un ouvrages faisant de Jeanne la fille adultérine d'Isabeau de Bavière.

Régine Pernoud revient également sur la thèse des "survivantistes", celle qui affirme que Jeanne ne serait pas morte, brûlée vive, arse comme en disait à l'époque, comme le rapporte l'histoire, à Rouen le 31 mai 1431. Il serait beaucoup trop long ici de développer l'argumentaire de l'historienne qui démonte point par point les allégations des survivantistes lesquels ne sont pas, selon elle, à une contradiction près. Elle admet, cependant, que le fait que ses frères aient reconnu Jeanne constitue un élément plutôt troublant. C'est d'ailleurs le seul élément qui pourrait accréditer la thèse de ceux qui nient le supplice de la Lorraine. Il n'est pas exclu, toujours selon Régine Pernoud, que Petit Jean, un des deux frères, ait pensé tirer partie des affabulations de Claude des Armoises, l'aventurière, pour demander des subsides au roi et tenter de s'enrichir à ses dépens.

Pour rejeter cette thèse, l'historienne se fonde surtout sur le procès de réhabilitation qui serait alors devenu une espèce de mascarade organisée par la mère de Jeanne d'Arc nécessitant une complicité généralisée dans laquelle l'Eglise aurait trempé. Il est peu pensable que l'Eglise, et le pape avec, qui réhabilite la jeune Lorraine, se soient compromis en déclarant que Jeanne avait été brûlée si tel n'avait pas été le cas.

L'affaire Jeanne d'Arc, version Roger Senzig et Marcel Gay n'est donc pas une approche historique fondée sur des arguments nouveaux mais bien la reprise de thèses maintes fois avancées, développées et ressassées. Le moins que l'on puisse dire c'est que leur ouvrage ne fait pas preuve de la plus grande originalité.

Le prince Michel de Grèce qui s'est spécialisé dans les biographies et les romans historiques publia en 2002 un livre intitulé la conjuration de Jeanne. Une fois de plus on y retrouve la remise en cause des origines et de la mort de la Pucelle.

Et pour donner plus de suspense à leur ouvrage le journaliste comme l' agent secret, qui doit être dans son élément naturel, n'ont rien trouvé de mieux que d'évoquer au passage une manipulation du Vatican. Une de plus ! Au train où vont les choses, après le Da Vinci code, on peut se demander si le Saint Siège ne va pas être transformé en une officine d'agents secrets de haute volée, devant lesquels les espions de l'ex KGB passeraient pour des amateurs et des charlots. Bien entendu il est fait allusion aux archives secrètes du Vatican dans lesquelles se trouvaient des documents faisant état de la véritable origine de Jeanne d'Arc. Comme ces archives du Vatican sont bien pratiques ! Elles justifient tous les délires. On peut se demander si demain on ne nous révélera pas le secret de la mort de Marilyn Monroe ou de la princesse Diana grâce à l'existence des archives secrètes du Vatican.

A en croire les deux narrateurs, on pouvait donc s'attendre à des révélations inouïes au sens littéral du terme. Hélas! Manque de chance, comme par hasard les documents concernant l'identité de Jeanne d'Arc ont disparu des archives du Vatican. Tenez-vous bien! Le cardinal Tisserant qui était, à la mort du pape Pie XII, le doyen du Sacré Collège aurait profité de ses fonctions de cardinal bibliothécaire archiviste pour subtiliser les documents en question afin que la vérité ne soit pas connue.

A gauche le cardinal Eugène Tisserant. A droite Monseigneur Lefebvre délégué apostolique pour l'Afrique


Et ce n'est pas fini! Pour clore cette série d'élucubrations, viennent tomber comme un cheveu dans la soupe, à la fin du livre, les travaux d'un scientifique ukrainien, le docteur Sergueï Gorbenko qui aurait travaillé sur les ossements de la basilique de Notre-Dame de Cléry. On y trouve aujourd'hui, dans la crypte, les ossements de Louis XI et de son épouse Charlotte de Savoie. Ils ne sont pas les seuls à avoir été enterrés là. D'autres ossements ont été retrouvés, notamment ceux de Dunois, le compagnon d'armes de Jeanne d'Arc. Selon le docteur Gorbenko, parmi les restes, il aurait identifié le crâne de Jeanne d'Arc ce qui lui aurait permis d'établir la véritable histoire de la Pucelle d'Orléans. Gorbenko aurait écrit un ouvrage sur ce sujet. Problème, et non des moindres, ce livre est introuvable! Personne ne l'a jamais vu. C'est l'arlésienne version Kiev! Nous n'en saurons donc pas plus sur ce crâne ni sur la véritable histoire.



Notre Dame de Cléry

Tout ceci fait un joyeux maelström dans lequel on a peine à s'y retrouver. Non seulement on n'y apprend rien de neuf, mais en plus on finit par s'y perdre totalement. En tout cas rien de bien convaincant qui justifie la lecture de cet ouvrage.

Assurément, ce livre n'ira pas dans ma bibliothèque personnelle prendre sa place aux côtés des différents ouvrages historiques sérieux traitant de la vie de Jeanne d'Arc dont, notamment, ceux de Régine Pernoud.

Une fois de plus, nous constatons le malin plaisir d'historiens autoproclamés qui se croient autorisés à réécrire notre histoire sur la base de ragots, de divagations et de délires paranoïaques. Comme toujours, c'est toujours la foi catholique qui est visée.


Le gendarme Merda ouvrant le feu sur les partisans de Robespierre

A quand, puisqu'on se complait dans le révisionnisme un livre retraçant les amours secrètes de Robespierre et Charlotte Corday qui, excédée, assassina le pustuleux Marat, lequel la pressait de ses assiduités, alors qu'elle était follement éprise de l'Incorruptible? Elle ne fut pas guillotinée car Robespierre intervint et fit procéder à une substitution à la Conciergerie, pas plus que Robespierre ne fut lui-même guillotiné par la réaction thermidorienne. On avait également procédé à une savante substitution. D'ailleurs, souvenez-vous, quand le supposé Robespierre fut conduit à l'échafaud, il portait un pansement à la mâchoire, suite, à ce qu'on nous dit, au coup de feu du gendarme Merda (authentique, par contre! Et ça ne s'invente pas!). Vous n'y êtes pas, amis lecteurs crédules, le pansement était destiné à camoufler le visage de celui qu'on avait envoyé à la guillotine à la place du grand illuminé. En réalité Charlotte et Maximilien se retrouvèrent après la révolution. Ils se marièrent, eurent beaucoup d'enfants et vécurent heureux. D'ailleurs demandez au Vatican, la preuve du mariage existe dans les archives secrètes! A moins que le Cardinal Tisserant ne l'ait subtilisée, sait-on jamais!

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